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Nager ou pas avec le requin-baleine?

Depuis quelques années, les selfies avec en arrière plan la bouche immense d’un requin-baleine ont la cote sur les réseaux sociaux. Résultat, de plus en plus de touristes désirent ardemment prendre cette précieuse photo. Mais, lors de notre dernier voyage au Yucatán, nous avons pu observer que, derrière ce petit plaisir en apparence anodin, se cache une réalité moins reluisante. 

En effet, de la mi-mai à la mi-septembre, l’une des populations les plus importantes de requins-baleines s’installe près des côtes au nord du Yucatán pour se nourrir de plancton, d'algues et d'animaux microscopiques. Depuis quelques années, les pêcheurs du coin se sont aperçus que de plus en plus de visiteurs étaient prêts à payer un joli montant pour pouvoir nager avec eux. Depuis, est née une véritable industrie et celle-ci n’a cessé de grandir. Ainsi, le Yucatán est devenu l’endroit le plus important au monde pour observer ce surprenant animal. 

Murale représentant la pêche aux requins (Holbox)

Notre expérience 

C’est notre deuxième jour à Holbox, petite endroit de villégiature sur une presqu'île au nord de Cancun. Nous décidons d’acheter un tour pour aller voir les célèbres requins-baleines, l’attraction vedette de l’endroit. Partout dans la ville, nous croisons des kiosques où sont offerts des excursions pour les voir. Ils proposent tous des forfaits similaires, au prix de 150$ américain par personne pour une excursion de 7 heures. Cela inclut le voyage pour se rendre sur les lieux, nager avec les requins-baleines, faire un arrêt pour du snorkeling avec les tortues, les raies et autres poissons, observer les oiseaux et terminer le tour avec un pique-nique. Tout est inclus: breuvages, lunch, palmes, masques, tubas. Les bateaux sont généralement de la même grosseur et peuvent contenir un maximum de 15 passagers soit 10 touristes, un capitaine, un guide et un ou deux aides. 

Voilà, notre tour est réservé avec départ dès 7h00 le lendemain. À l’heure dite, nous quittons le quai et nous surfons à grande vitesse pendant environ deux heures en direction de l’est. Durant notre parcours, nous apercevons des dauphins, de nombreux oiseaux (dont le fameux flamand rose) et une tortue marine qui fait surface. L'atmosphère à bord est agréable. Notre équipage est professionnel et attentionné. 

Navigation vers le lieu de plongée avec les requins-baleines

C’est alors que les choses se corsent. Nous percevons un changement dans l’attitude des membres de l’équipage qui deviennent visiblement plus stressés. Il est l’heure d’apercevoir ces fameux requins afin de satisfaire les touristes. Il n’y a pas d’endroit précis pour les voir et ne pas les trouver peut être catastrophique pour la petite entreprise. La compétition est vive. Je vois notre fascinant capitaine scruter d’un regard d’aigle l’horizon à l’affût du moindre mouvement inhabituel. Ça y est, il a aperçu quelque chose! Il s’élance à toute vitesse vers ce point et, à notre grande surprise, il n’est pas le seul. Une vingtaine de bateaux se ruent sur le banc des pauvres requins-baleines. Adieu leur quiétude. Ils sont vite encerclés par cette meute d’embarcations. 


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C’est à ce moment que Marc et moi avons commencé à ressentir un malaise. Nous n’étions pas préparé à cela et nous sommes inquiets pour ce pauvre animal. Ce n’est pourtant que le début. Dès le moment où le groupe de requins est encerclé, la partie commence. De chacune des embarcations, dix plongés avec deux touristes accompagnés d’un guide s’effectueront. Environ 200 plongeurs se précipitent deux fois à l’eau ce jour là. Une pression énorme pour cet animal qui tente tout bonnement de se nourrir suffisamment pour survivre. 

Sur notre embarcation, notre guide se transforme soudain en soldat, nous enjoignant de suivre ses directives. Il est tendu. Le pire de sa job commence ici. Le temps compte. Il faut que chaque plongeur en ait pour son argent. Deux par deux, nous plongeons à son bras dans la mer agitée. Il nous tire en criant : vite vite vite, par ici, par ici! Nous n’avons pas le temps de voir grand chose. Plusieurs bateaux nous encerclent et font le même manège autour d’un autre requin. Il semble y avoir comme une entente tacite entre les tours opérateurs pour ne pas se nuire tout en s'efforçant de rester dans la compétition.

Mon tour de plonger arrive. Je ne suis pas à l’aise. À la fois parce que le guide est tendu mais aussi parce que je me sens complice d’un acte répréhensible pour le bien être de ce bel animal inoffensif. Je fais ma première incursion dans l’eau sans rien apercevoir, en avalant une tasse d’eau…Je peux à peine nager, tirée par le guide et embarrassée dans ma veste de sauvetage. 

Marc, refuse de faire la deuxième plongée. Il en a vu assez et ne veut plus être complice de ce cirque. Cela jette un froid entre lui et le guide. De mon côté, j’accepte mais je suis si nerveuse que je tombe du bateau. Le guide m'engueule comme du poisson pourri. Je le comprend et ne lui en veux pas. En plus d’avoir eu très peur, il est exténué. Il est responsable de la sécurité de tous et c’est une grande pression. De plus, le temps compte pour arriver à ce que tous voient leur lot de requins. Ceux-ci s’éloignent et ne seront bientôt plus à porter du bateau. Cela fait plus d’une heure qu’il plonge avec nous en nous tirant  pour être certain que nous voyons un requin. 

site de plongée avec les requins-baleines.

Bien que je trouve notre guide moins sympathique qu’au départ, je suis impressionnée. Il faut une force surhumaine pour plonger avec nous comme il l’a fait. Dans un contexte pareil, il n’est pas rare que beaucoup de comportements inappropriés surgissent. Fréquemment des bateaux s'approchent trop près des requins-baleines. Sans oublier qu’un grand nombre de nageurs enfreignent les règles de ne pas toucher l’animal, souvent par inadvertance. Car au milieu de cette agitation et de ce tumulte, il est fréquent d’accrocher la pauvre bête. 

La deuxième étape du tour consiste à faire du snorkeling avec les tortues. Encore là, un malaise nous gagne Marc et moi. Les équipages jettent de la nourriture à l’eau afin de les attirer et les plongeurs se jettent, comme des assoiffés d’images, sur le peu de tortues et de raies qui s’approchent. Dans la cohue, plusieurs sont touchés. Décidément, je n’aime pas plus l’expérience qu’avec le requin-baleine. Pourtant, j’ai est fait plusieurs des tours de snorkeling. Qu’est-ce qui est différent cette fois? Ha, J’y suis, le nombre! Nous sommes si nombreux en même temps, au même endroit.

Arrêt pique-nique

Pour faire la paix avec mon guide et me faire pardonner ma maladresse, je tente de discuter avec lui. Il nous a tout de même cerné, Marc et moi. Je le vois bien. Nous ne devons pas être les seuls qui commencent à questionner le bien fondé de ce genre de tour qui est pourtant son gagne-pain. Je dois cependant admettre que nous finissons la journée de la plus belle des façons, sur une plage paradisiaque. Nous avons le bonheur de déguster le meilleur ceviche que nous n’avons jamais mangé, préparé directement sur le bateau par le capitaine. Un délice!

Nager avec les requins-baleines, de l’écotourisme?

Question complexe. À lui seul, ce tourisme consacré au requin-baleine résume tous les enjeux positifs et négatifs de l'écotourisme. Rappelons que ce terme évoque des concepts comme développement durable, respect de l'environnement et des espèces qui le composent. Il implique aussi la notion d’impact minimum. Hors, les effets négatifs de cette activité sont significatifs au point de mettre la survie du requin-baleine en danger. L'afflux de touristes est devenu tel dans certains endroits que la fréquentation de ces sites par les requins-baleines a fortement diminué. De surcroît, la négligence de capitaines de bateaux touristiques a souvent provoqué des chocs directs et bien des blessures aux pauvres animaux. 

Conséquence, le caractère durable d'une telle pratique ainsi que son avantage pour la sauvegarde de l'espèce est de plus en plus remis en question. Même si l’intérêt pour les tours, secteur en plein essor de l'industrie touristique, a créer une pression sur les autorité pour implanter des lois contre la surpêche. Cela est cependant surtout vrai pour les endroits comme les Philippines, localisés à proximité de la Chine, grand consommateur du requin-baleine . 

En effet, avant 1998, année où les requins ont obtenu une protection juridique nationale, des centaines de requins-baleines étaient massacrés chaque année aux Philippines pour leur viande et leurs ailerons. Les Philippine ont interdit la pêche quand les pêcheurs se sont mis à gagner plus d'argent avec les tours organisés. Les défenseurs de cette activité sont convaincus que celle-ci à contribuer à la survie de l'espèce et ils n’ont certainement pas tort. 

Flamands roses

Plusieurs groupes environnementaux et biologistes, cependant, considèrent que la sensibilisation ne suffit plus et qu’il faut revoir les pratiques. La prochaine étape devrait être des règlements et des lois strictes pour protéger le requin-baleine du tourisme de masse et pour créer un véritable modèle durable d’écotourisme. Mais les avancés sont lentes. Les autorités s'inquiètent des effets qu’auraient des règlements plus sévères sur cette industrie prospère. Ayant dépenser un gros montant sur le tour, les visiteurs espèrent en avoir pour leur argent. 

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Et le Mexique dans tout cela? 

Le requin-baleine est une espèce protégé par une loi mexicaine qui se base sur la réglementation mondiale de la conservation de la faune. Cependant, le pays préfère une approche de sensibilisation plutôt que de régulation. Le programme WWF’s Mesoamerican Reef travail auprès des pêcheurs, des promoteurs de tours et des touristes pour les sensibiliser à la situation des requins-baleines en faisant la promotion d’un guide de comportement responsable.

Le coeur du problème est que l'industrie du tourisme grandit de façon exponentielle au Mexique. En peu de temps, nous sommes passés de quelques touristes à plus de 20 000 par année. Par exemple, à Gladden Spit au Belize et à Ningaloo Reef en Australie, seul 15 à 30 licences ont été octroyées alors que au Yucatan, on parle de 240 licences pour des bateaux qui transportent chacun jusqu’à 10 touristes! C’est gigantesque!

De plus les autorités mexicaines n’ont pas les ressources pour s’assurer que les règles sont suivis. On compte sur la dénonciation d’un et l’autre, ajoutant ainsi une pression malsaine aux opérateurs de tours déjà en situation précaire.. 

Si c’était à refaire, sachant ce que nous savons maintenant, nous ne prendrions pas un tour à Holbox. Nous sommes de l’avis des experts que cette industrie est mûre pour des changements drastiques dans sa pratique et qu’il est temps de mieux l’encadrer. Nous croyons que des mesures réelles doivent être prises pour véritablement protéger le requin-baleine. Entre temps, nous croyons préférables de ne pas encourager cette industrie ou, sinon, de choisir un tour véritablement certifié écoresponsable. Toutefois, nous n’en avons pas trouvé lors de notre passage à Holbox. Souhaitons que ce sera le cas dans un avenir rapproché. 

C’est notre point de vue. Et vous, qu’en pensez-vous? Qu’elle a été votre impression quand vous avez fait l’expérience? Nous serions heureux de vous entendre. Et surtout, si vous trouvez une compagnie qui offre un tour véritablement écotourisme, nous aimerions bien la connaître et la conseiller car nous n’en avons pas trouvée.

Affiche de sensibilisation pour pratiques responsables de plongée avec les requins-baleines (source WWF)


Le requin baleine en 5 points 

  • Le requin-baleine est une espèce de poissons cartilagineux pouvant atteindre 20 mètres de long et pouvant peser jusqu’à 34 tonnes. Il est considéré comme le plus grand poisson vivant actuellement sur Terre. 

  • Sa durée de vie est estimée entre 100 et 150 ans et ses seuls prédateurs connus sont l'orque, l'homme et certains requins. 

  • Massif, se déplaçant assez lentement et dénué d'agressivité malgré sa grande taille, il ne pose aucun danger pour les êtres humains. il est le plus gros animal sur terre qu’il peut approcher sans aucun danger. 

  • On répertorie présentement environ 9000 requins baleine. Le deux tier se trouverait dans l’Atlantique (surtout dans la région du Yucatán) et le reste se répartie dans les régions des Maldives, des Philippines, de la Thaïlande, de Madagascar et dans l’ouest de l’Australie.  

  • L’espèce est considérée en danger d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Du fait de son cycle de reproduction lent (il ne procréer pas avant l'âge de 20 ans), le requin-baleine est très vulnérable à la surpêche et sa chair est très prisée en Chine (particulièrement Taïwan). Ses ailerons, reconnus comme une denrée rare et précieuse, peuvent valoir près de 800$ le kilogramme au marché noir. À Taïwan, il est nommé « requin tofu » à cause du goût et de la texture de sa chair.. 


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